TAULIGNAN la TRAGÉDIE du 12 JUIN 1944

11 juin 2019

Le calme de la matinée était troublé par des tirs  d’armes à feu que l’on distinguait. Une maman  a voulu rassurer  ses enfants  en leur disant qu’il s’agissait de tirs d’exercices. Un peu plus loin,  Aglaé Chaix,  gardait ses chèvres  alors  qu’un homme  revenait paisiblement avec son troupeau, un   jeune  de 14 ans, refugié de Toulon, cueillait des feuilles de murier pour alimenter l’élevage de vers à soie à l’école des garçons. Un homme  dit : j’ai fait la guerre et je vous affirme que ces tirs ne sont pas des exercices. Puis en  quelques minutes  ce fut l’horreur dans le petit village, les 20 personnes qui étaient sur la place principale périrent sous le feu des armes des nazis.

 « VALREAS SE SOUVIENT » de Michel REBOUL (association cantonale de fusillés, déportés, internés, résistants, patriotes et amis de l’Enclave), décrit très bien les massacres  perpétrés par les allemands le même jour à VALREAS.

 Par contre madame Mireille BERTRAND qui avait 8 ans au moment de ces évènements, a témoigné devant le monument aux morts. Ses paroles étaient d’autant plus  émouvantes et fortes qu’elle s’est exprimée avec ses yeux d’enfant, ces yeux qui avaient  vu l’indescriptible, cet instant monstrueux et  indélébile  qui vous marque  la vie entière.

                                     

 

Laissons Madame BERTRAND  s’exprimer :

C’était un lundi. Ce matin-là, quand nous nous sommes levés mon frère et moi pour aller à l’école, la journée s’annonçait belle et chaude ; cependant, on ressentait une inquiétude autour de nous car on entendait au loin des tirs, le quartier était en émoi, certains disaient que d’était des tirs d’entrainement sur la route de Salles-sous-Bois.

Tout a coup, sans doute prise d’un pressentiment, maman nous dit : « Vous n’allez pas à l’école ce matin, je préfère vous garder avec moi, je serai plus tranquille. Nous irons chercher des œufs chez Mr. Théolas » (grand père de la famille Théolas). Il habitait sur l’ancienne route d’Aleyrac, à la sortie du village. C’est ce que nous fîmes, mais en arrivant chez lui, il dit à maman : « Ce n’est pas très prudent de venir jusqu’ici ! » ce a quoi maman répondit : »Mais il parait que ce sont des tirs d’entrainements ! ». « Des tirs d’entrainement, j’ai fait la guerre » dit-il « et pour moi, ce ne sont pas des tirs d’entrainement! Je vais vous donner vos œuf et dépêchez-vous de rentrer chez vous ». D’ailleurs, pendant ce temps-là, les tirs se rapprochaient.

Peu de temps après, nous voilà arrivés à la maison, d’où l’on entendit un tir qui venait de la place de la Bourgade, aujourd’hui place de la Résistance, autrement dit juste à côté de chez nous. Mon père se précipita pour fermer les volets, du coup, nous étions dans le noir, les tirs se multiplièrent, ça pétaradait de tous côtés. On entendit les nazis hurler, leurs cris ressemblaient plus à ceux de bêtes féroces que d’êtres humains. La voiture des Maquisards était en train d’arriver par la route de Valréas et visiblement, ils le savaient et ils les attendaient. La fille du percepteur, qui habitait aussi à la Bourgade, m’a raconté plus tard qu’elle voyait de sa fenêtre les nazis cachés à l’angle de la rue du Coulard, derrière les 3 platanes et la fontaine qui était sur la place à cette époque-là, (la même fontaine qui est aujourd’hui devant le musée de la soie).

Puis, au bout d’un moment qui nous parut une éternité, on n’entendit plus rien et c’est alors qu’on frappa à la porte : c’était le Dr CULTY qui dit à mon père : » Bertrand, venez vite, amenez une échelle, il y a des morts, vous m’aiderez à les transporter ». Et c’est ce qu’ils firent. Ils rentrèrent les morts dans la remise qu’on appelait « Le corps de garde », où des dames voisines vinrent leur faire un brin de toilette. Le Dr Culty les prit en photo et dit à mon père quelques jours plus tard : » je vous confie ces photos, vous êtes plus souvent ici que moi, vous les aurez si les familles viennent les reconnaitre », car, à part Pierre Darlix, le chauffeur de la voiture, on n’en connaissait aucun. Ces photos, je les ai remises récemment à la mairie de Taulignan qui a ouvert un dossier concernant cette tragédie.

Quand le calme est revenu, les Taulignanais sont sortis de chez eux, complètement anéantis. Je me souviens encore de la voiture, restée à l’angle de la route de Grillon, les vitres brisées, du sang partout. On entendit tout à coup les cris d’une femme qui arrivait en courant et en hurlant : « où est mon Pierrot !, je veux voir mon Pierrot ! ». C’était la maman de Pierre Darlix, qui avait du être prévenue et qui voulait savoir si c’était bien de son fils qu’il s’agissait. Les pleurs de cette maman étaient déchirants, je n’ai jamais pu les oublier.

La tristesse et l’émotion avaient envahi tout le village.

L’après-midi, dans la désolation, on comptait le décès de 20 personnes dont une femme et un enfant.

A l’heure de l’Europe, on espère tous que nos enfants et petits-enfants n’auront plus jamais à vivre semblable tragédie.

 

 

 

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