Obsèques de Jacques PAYEN

26 octobre 2023

                                                                                                                                                                                    Jacques PAYEN                     

            En cet après-midi du 26 octobre 2023, le petit village de Manas situé en Drôme provençale à une vingtaine de kilomètres à l’Est de Montélimar était plongé dans le deuil en attendant, sur le parvis de l’église, l’arrivée du véhicule funéraire de Monsieur Jacques Payen décédé le 20 octobre à  Montélimar.

            Quelques années auparavant, cette petite église, flamboyante aujourd’hui, avait été entièrement rénovée sous l’égide de Monsieur Payen alors président de l’association patrimoine des amis de Manas.

                           

 La pluie venait de s’arrêter, laissant perler quelques rayons de soleil , nombreux étaient présents parmi les habitants des 220 habitants de la commune pour dire au revoir à Jacques et pour accompagner sa famille.

            La Société des Membres de la Légion d’honneur était représentée par Madame Christiane Delphin-Poulat et son époux max, Monsieur Jacky Fra, Monsieur Jean-Claude Launay, porte-drapeau, Madame Annie Pez, Madame Monique Martineu, le général Alain Roche et son épouse Danielle et par son Président le général Christian Van Duynslager. La fédération des FFI était représentée par Monsieur Gérard Martin porte drapeau. Monsieur Daniel Cuoq, son président en déplacement à caractère patriotique, étant excusé.

            Vous trouverez ci-après l’hommage rendu par le général Alain Roche.

 

                                               Carpe Diem. In memoriam.

                                    

 

                                                                       ***

                   Hommage rendu à Monsieur Jacques PAYEN par le Général Alain ROCHE

Président Honoraire du Comité de Montélimar,

Vice-Président de la Section de la Drôme de La Société des Membres de la Légion d’honneur.

Nous sommes réunis aujourd’hui pour rendre hommage à un père, un grand-père, frère d’armes. Monsieur Jacques PAYEN nous a quittés, vendredi 20 octobre dans sa 104ème année. Je remercie pour leurs présences, les autorités politiques et militaires, Madame Florence Merlet, Maire de Manas, le général Christian Van Duynslager, Président de la Société des Membres de la Légion d’Honneur de la Drôme, le capitaine Julien Klotgen, chef de la délégation du régiment des Spahis de Valence, Madame Laure Bonnet, Directrice de l’Office national des anciens combattants et des victimes de guerre, représentant Monsieur le Préfet, les porte-drapeaux, ses frères d’armes, ses amis de Manas, vous tous.

Jacques est né le 03 août 1920. Deux pôles géographiques majeurs ont marqué sa vie : La mégapole de Lyon et le village de de la Drôme provençale, Manas.

J’ai rencontré Monsieur Jacques Payen à mon domicile en août 2015 lors de deux réunions préparatoires à sa  remise de la Légion d’honneur. J’ai vu arriver un jeune homme de 95 ans  au volant d’un 4/4 blanc, affichant une vivacité de corps et d’esprit hors du commun. Une marche arrière parfaitement maitrisée de 70 mètres pour rejoindre la route principale reste encore bien gravée en ma mémoire.

A l’arrivée des allemands en France libre à Lyon, en novembre 1942, Monsieur Jacques Payen, résistant,  détenteur d’un émetteur radio qu’il cache dans l’appartement de ses parents, dénoncé, échappe à la Gestapo. Il a alors le projet de passer en Espagne avec 3 membres de sa famille. Cette première tentative échoue. Quatre mois plus tard, avec un camarade, il rejoint Perpignan, où la Résistance doit les aider à passer la frontière. Malheureusement les réseaux viennent d’être démantelés. Finalement un contrebandier accepte de les conduire jusqu’à Barcelone. Après avoir pris contact avec un correspondant du général de gaulle, il embarque au Portugal à bord du Sidi Brahim en direction de Casablanca. Deux mois plus tard, au début de l’été 1943, Jacques Payen est affecté au 4ème Régiment de Spahis marocains, regroupant alors des cavaliers à cheval. Les premiers chars arrivent à l’unité. Son 1er escadron comprend 15 chars légers M5 de 17 tonnes. Dans un sourire, Jacques Payen précise : « Je leur avais dit qu’une fois j’avais démonté le moteur de ma mobylette. On m’a répondu “ah ben, vous serez pilote de char».

 

En septembre 1943 et pendant les 6 mois qui suivent, il participe à la libération de la Corse puis à la campagne d’Italie qu’il débute à la bataille de Cassino dans un petit village Castel Forte. A proximité de Florence, il rejoint Naples par bateau qui le conduit jusqu’à Marseille en septembre 1944. Au cours de cet épisode il rencontre par le hasard de la guerre son frère qui décèdera au combat malheureusement quelques jours plus tard.

 

En octobre 1944, son escadron se rassemble au château de la Buzine, propriété de Marcel Pagnol. « J’y ai rencontré sa nièce, Andrée». De ce coup de foudre naîtra un mariage à l’issue des hostilités en 1945.

Viennent ensuite le débarquement en Provence, la traversée de la France jusqu’à la frontière allemande, vers Constans. A la fin de la guerre, une fois arrivé à Vienne en Autriche, Il dit au revoir à son char et à ses camarade avec beaucoup de nostalgie. Parti du Maroc, après une chevauchée au péril de sa vie au quotidien, il est le seul de son escadron, à avoir pu conduire son char, jusqu’à sa destination finale. Tous les autres avaient été mis hors de combat ou détruits.

La guerre terminée, qui lui aura enlevé son frère Marc et son cousin Louis, Jacques Payen reprend sa place au sein de l’entreprise familiale qu’il modernise, jusqu’à ce qu’elle devienne une florissante société installée désormais en Ardèche, à Saint-Julien-en-Saint-Alban. Société depuis peu sous les feux de l’actualité. Jacques ne cachait pas sa fierté : « C’est dans ces ateliers qu’est fabriqué le tissu du maillot de l’équipe de France de rugby». Disait-il

 

Porteur de la Médaille des Evadés de France, de la Croix des engagés volontaires et de la Croix de guerre, Monsieur jacques Payen a vu son engagement pour la France pleinement reconnu par l’attribution de la Croix de la Légion d’honneur et décoré le 12 septembre 2015 par son ami Monsieur Gilbert Sauvan à la Répara lors d’une cérémonie réunissant une centaine d’invités en présence de notre feu porte-drapeau le Lieutenant Jean-Claude Bernard. Il appartient à cette catégorie d’hommes qui accomplissent des exploits en toute humilité mais avec grandeur d’âme, à l’image du jardin qu’il a fait naître et financé à l’hôpital Roche Colombe à côté de sa chambre et qu’il prenait soin d’entretenir et de l’arroser chaque jour.

 

Vous ses enfants, Marc, Gilles, Corine, sa belle-fille Evelyne, ses petits-enfants, Alexandre, Victor, Juliette et Louise, ses proches, ses amis, ses frères d’armes, nous tous , nous pouvons être fiers de ce que nous lègue Monsieur Jacques Payen. Nous garderons de Jacques le souvenir d’un homme intelligent, cultivé à la volonté inébranlable. Je me souviens de ces paroles après une fracture du fémur peu après son centième anniversaire « Mon général, je vous le promets, dans 6 semaines, je remarcherai ». Je le quittais sceptique. Un peu plus d’un mois plus tard, il pouvait se déplacer à nouveau. En novembre 2022, il m’avoua « Mon général, je commence à baisser ». Plus récemment il y a six mois, « Mon général, je ne peux plus faire les choses comme avant ». Homme de grande classe, courtois, au parfait savoir vivre et à la réelle humilité, il s’intéressait à tout et continuait de lire, chaque jour, le Monde et le Figaro et répondait par courrier à chacun de mes écrits.

Monsieur Payen avait été invité par le Président des FFI, Monsieur Daniel Cuoq au 79ème anniversaire de la libération de la Drôme, invitation que Jacques fatigué n’avait pu honorer. Monsieur Cuoq dans la conclusion de son intervention avait rendu hommage à Jacques avec une indéfectible reconnaissance en précisant que l’idée initiale de Monsieur Payen avait été de rejoindre Londres et le général de Gaulle. Je cite « Remercions ce brave, ce héros, d’avoir contribué à la libération des territoires occupés par les nazis et avoir participé activement à rendre son honneur à la France ». 

 

Avant de nous séparer, je tiens à remercier Madame Christiane Delphin-Poulat chevalier de la Légion d’honneur ainsi que son époux Max pour leur accompagnement régulier et hebdomadaire à l’Ehpad de l’hôpital de Montélimar. Mes remerciements s’adressent également à l’ensemble du personnel de santé qui a toujours été aux côtés de Jacques, nuit et jour, avec bienveillance, compétence et altruisme. Enfin je me réjouis de la présence des ses frères d’armes Spahis. Lors de mes dernières visites, Monsieur Payen me faisait part de son regret de ne jamais avoir pu rencontrer ses camarades Spahis de Valence. Fort heureusement, nous avons pu organiser une rencontre le 05 octobre après midi, 15 jours avant son décès. Jacques, déjà quelque peu fatigué, a retrouvé toute son énergie en découvrant un jeune capitaine, un Brigadier-chef de première classe et deux militaires du rang revêtus de la burnous de spahis, un uniforme flamboyant porteur de toutes les traditions de ces soldats d’élite. Le plus jeune, à peine âgé de 19 ans, lui a remis son calot non sans émotion. « Je n’ai jamais porté votre tenue. On ne nous en avait pas données, nous avions des uniformes américains ».

 

Ce jour-là, Jacques a le regard qui brille. La boucle vient d’être bouclée symboliquement. Il ouvre alors une petite enveloppe blanche. « Je vais vous faire un cadeau ». Il en sort son insigne de poitrine, ultime vestige de son passé de soldat ayant servi au 4e régiment de spahis marocains qui repose désormais dans les vitrines du musée, quartier Baquet à Valence.

 

Monsieur Payen vous avez bâti un édifice de vie remarquable. Merci pour ce que vous avez réalisé dans votre engagement d’industriel, de résistant, de soldat. Aujourd’hui nous déplorons votre départ.

 

          « Je suis resté spahi dans l’âme ». Admirable phrase que vous avez prononcée le 5 octobre.

 

            Depuis votre tendre jeunesse, vous avez magnifiquement fait vôtre la devise du premier ordre national, Honneur et Patrie.

          Au revoir Monsieur Payen, au revoir mon frère d’armes, au revoir Jacques, vous aviez à trois ans près l’âge de mon père. Dans notre monde qui recherche de plus en plus des repères, vous étiez une boussole, un cap à suivre, un guide pour tous, un grand soldat, un grand Monsieur.

                                                                           Général Alain Roche

                                                                       Manas le 26 octobre 2023.

                                                   

 

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